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des Mérovingiens à l'Alabama

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Des Mérovingiens à l'Alabama, dans l'Escalade du temps
Tout commença par le samedi précédant l'Escalade, carnaval-fête genevoise par excellence (hélas en hiver !). Enrichie grâce aux foires et ayant embrassé la Réforme, la bourgeosie genevoise trouva le goût de l'autonomie politique fort agréable vis à vis de la Maison de Savoie qui, de guerre lasse si je puis dire, s'essaya à l'attaque nocture surprise en décembre 1602. En échouant, ce Pearl Harbor d'échelles d'assaut, de mousquets et de canons en fonte permit à la Ville-Etat de se forger une légende qui solidarisera les citoyens pendant plusieurs siècles. A l'abri de murailles qui ne cessèrent jamais de se perfectionner, Genève s'isolera encore plus de son arrière-pays.

Au détour d'une visite, je vois que la dernière trouvaille archéologique se visite. Il s'agit d'un tertre au centre d'un bastion du XVIe siècle des anciennes fortifications qui n'a - par miracle - jamais été chamboulé. Au hasard de travaux de rénovations y fut découvert un cimetière du Bas Moyen-Age en ce qui concerne les plus anciennes tombes. La visite commentée permet de voir quelques squelettes logées dans des tombes rudimentaires à même le sol. La mort restant un des grands instants de notre vie, je formule quelques pensées dignes d'être exprimées au comptoir d'un bistro. Dans le désordre:

1. Personnellement, ça me navrerait que d'illustres inconnus me reluquent à poil dans quelques centaines d'années
2. Nous vivons vraiment sur un gigantesque cimetière
3. Comment faisaient-ils sans Iphone ?
4. Que va faire la Ville de ce tas d'os ?
5. Mon chef est vraiment un gros trou du cul

Certainement télépathe mais surtout prudente, la guide répondit pour partie à mes pensées: une fois le travail des archéologues achevés, tout sera recouvert à nouveau de terre.

Quittant cette future promenade-cimetière sur laquelle les jeunes générations iront gaiement gambader ou fumer de l'herbe après sa rénovation, je décide d'aller visiter la Salle de l'Alabama. Ma petite famille, habituée à mes envies photographico-historiques, me suit sans rouspéter. de toute façon, elle n'a pas le choix, je suis le seul à avoir les clefs de la bagnole.

Une grande et belle salle. C'est la première constatation. Plafond haut, parquet ancien. Le Pouvoir doit s'exprimer en des lieux adaptés. La salle vit passer quelques beaux instants de l'Histoire, souvent associés à la Guerre par ailleurs. La Croix-Rouge fut créée ici. A défaut d'empêcher les politiques d'envoyer leur peuple à la boucherie, on essaya de soigner les bobos que cette virile activité provoquait. Moins connu - quoique le nom de la salle y fasse référence - le conflit (poltique) du corsaire sudiste ALABAMA y fut résolu. En voici l'histoire.

Capitaine R. SEMMES (salle de l'Alabama, Genève)
En 1872, Genève, ville tranquille au bord du Léman, a été témoin d'un curieux règlement de compte entre les USA et l'Angleterre qui mit définitivement fin à l'une des plus extraordinaires aventures maritimes de la guerre de Sécession. Au centre du différent, l'épopée du corsaire C.S.S. Alabama qui coula ou captura près de 64 navires unionistes en 22 mois ! L'histoire débute en 1862.

Le Sud, en guerre contre le Nord depuis maintenant deux ans, vit sous un blocus maritime strict imposé par une flotte militaire nordiste d'une supériorité écrasante. Le coton, précieuse source de devises, pourrit dans les ports. De nombreuses marchandises, vitales aussi bien à la population qu'à l'effort de guerre, n'arrivent plus. L'Etat-Major sudiste envisage alors de créer une flotte de navires qui aura pour mission d'attaquer en haute mer la flotte marchande de l'Union. Le plan poursuit deux buts: se venger du nord en détruisant sa flotte de commerce et obliger les navires de guerre nordistes à relâcher la surveillance des côtes pour protéger leurs lignes commerciales. Les Sudistes font construire discrètement en Angleterre le plus puissant de ces navires, un magnifique sloop de trois mâts, équipé d'une chaudière à vapeur qui lui permet d'atteindre l'honorable vitesse de 13 nœuds (+/- 24 km/h). Deux astuces techniques complètent l'équipement: une hélice rétractable, améliorant sa vitesse sous voiles, et une cheminée coulissante qui lui permet de modifier rapidement son aspect de manière à confondre l'ennemi.

Le navire sera d’abord baptisé Enrica pour ne pas éveiller d’éventuels soupçons. En effet bien que l’Angleterre se soit déclarée neutre dans le conflit, de nombreux citoyens soutiennent cependant le Sud dont le coton est indispensable à l’industrie textile anglaise. Après quelques essais en mer, il se rend aux Açores pour compléter son équipage et poser son armement de guerre, composé de 6 canons fixes de 32 livres et de deux canons mobiles de 110 livres, réelle innovation pour l’époque. Les ordres sont simples : « Attaquez, coulez ou capturez tous les navires unionistes. »

Mission accomplie au-delà de tous espoirs ! Après 22 mois de navigation et un parcours de 67'000 miles nautiques, des Antilles à Sumatra et Singapour, passant deux fois le Cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud, Enrica, renommé entre-temps le C.S.S Alabama, coule ou capture 64 navires ennemis ! Dans le même temps, du côté nordiste, les primes des assurances maritimes grimpent aussi vite que le commerce s’effondre. Le navire corsaire, sous le commandement du capitaine Raphael SEMMES, originaire du Maryland, se révèle très efficace : en 1863, au large du texas, il envoie par le fond en 13 minutes ( !), le navire de guerre U.S.S Hatteras. Bientôt 18 navires de guerre sont à ses trousses mais l’Alabama demeure insaisissable et devient une légende.

Nous sommes maintenant en 1864. Le Sud a été vaincu à Gettysburg et Vicksburg. SEMMES, toujours en Asie, décide de rentrer car la longue campagne en mer a beaucoup fatigué le navire. Il doit être raddoubé en cale sèche. Le 11 juin 1864, le navire se présente devant Cherbourg. Le 13, les Sudistes apprennent que l’U.S.S. Kearsarge, vaisseau de guerre de 1030 tonnes, fait route vers Cherbourg. Le 14, ce dernier est au large. Trois options s’offrent à SEMMES : gagner du temps et s’échapper, combattre ou abandonner son navire. SEMMES, suivant en cela la devise du navire, Aide-toi et Dieu t’aidera, choisit la deuxième solution et le 19 juin 1864, devant 15'000 curieux, l’Alabama va au devant de son destin. Après 45 minutes d’échanges de tir, le navire sudiste fait eau. L’ordre d’abandon est donné. Il coule dans la Manche par –65m. La guerre terminée, les USA, maintenant réunifiés, exigent des comptes à l’Angleterre pour la violation de son devoir de neutralité. Grâce à un arbitrage international, la bataille juridique trouva sa conclusion à Genève, dans une salle de l’Hôtel-de-Ville, depuis dénommée la salle de l’Alabama. L’Angleterre fut condamnée à payer aux USA 15.5 millions de dollars de compensation pour la destruction des bateaux coulés par l’Alabama et les autres navires.

En octobre 1984, soit 120 ans plus tard, au cours d’un entraînement, le navire démineur Circe de la Marine Nationale, capte un écho à 7 miles au large de Cherbourg. Une épave de la dernière guerre ? Possible. On envoie en exploration une caméra-robot. C'est finalement les plongeurs de la Royale qui découvriront une cheminée en fer dans une demi-obscurité. Il s'agit sans nul doute d'un vapeur de l'ère industrielle. On pense à l'Alabama. La découverte des canons confirmera cette hypothèse.

Commence alors une polémique kafkaienne: l'Angleterre, les USA et la France revendiquent respectivement l'épave ! Qui, de celui qui l'a construite, achetée ou encore retrouvée dans ses eaux territoriales, aura le priviliège de conserver ces vestiges ? L'affaire s'est soldée par un arrangement (encore un !) à l'amiable et par la création en 1989 d'un comité franco-américain composé d'experts des deux pays et chargé de la fouille du navire.

Retour à la maison. En cours de route, nous croisons des membres costumés de la confrérie chargée d'entretenir le souvenir de cette froide bataille. Ambiance martiale assurée.

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